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Pierre Lançon

La marche afghane, stress chronique et hyperventilation

La marche afghane en avez-vous déjà entendu parler ? Les afghans eux sûrement pas ! Le nom marche afghane a été utilisé pour la première fois par E. Stiegler dans son livre "Régénération par la marche afghane". Depuis, cette unique source fait office de bible de référence et tous les coachs et autres animateurs de marche afghane répètent avec beaucoup d'orthodoxie les principes qui y sont énoncés. Mais, comme nous allons le voir, même si Stiegler a ouvert une porte passionnante avec ce principe de mieux respirer en marchant, certains rythmes de marche proposés favorisant l'hyperventilation se révèlent être contreproductifs car contraire aux mécanismes physiologiques sous-jacents à l'oxygénation.

Marche afghane

1- Une petite histoire de la marche afghane

Alors commençons par revenir sur la petite histoire de la marche afghane. La marche afghane est un terme inventé par un français du nom d'Edouard G. Stiegler. Stiegler était parti observé des tribus nomades de caravaniers afghans, capables d'effectuer de très longues marches de 60km pendant plusieurs jours d'affilés. Intrigué par cette endurance et constatant que les marcheurs n'éprouvaient que peu de fatigue, il commença à explorer leur respiration pendant la marche, en particulier grâce à la buée émise par temps froid. Et peu à peu il se rendit compte que la respiration se synchronisait en quelques sortes sur la marche, adoptant certains rythmes particuliers. A partir de cette observation du lien entre respiration et marche, il en tira ses propres conclusions et mit tout cela par écrit dans le livre intitulé "Régénération par la marche afghane", dont la première édition remonte à 1981. Ce livre tomba un peu aux oubliettes jusqu'à il y a une quinzaine d'années où certains accompagnateurs en montagne le remirent au goût du jour. Aujourd'hui cette pratique tend à répandre et est enseignée en prenant pour unique base le livre de Stiegler, comme si ce livre était devenu la bible de la discipline. Tout en reconnaissant à Stiegler d'avoir ouvert de nouvelles portes, il semble qu'il n'avait pas une connaissance claire des mécanismes physiologiques de l'oxygénation. Ainsi le rythme de base qu'il propose 3 pas sur l'inspiration, 1 pas en rétention, 3 pas sur l'expiration et 1 pas en rétention à vide (3-1-3-1) est un rythme qui fait clairement hyperventiler. Et comme nous allons le voir l'hyperventilation, ne favorise pas la bonne oxygénation bien au contraire.


2- L'idée répandue mais fausse : hyperventiler pour mieux s'oxygéner

Qui n'a pas déjà entendu un enseignant de yoga ou autre coach sportif proposer de respirer profondément pour bien s'oxygéner ? Peut-être même certains ont-ils entendu parlé de méthodes d'hyperventilation pour résister au froid, enseignées à des millions de personnes de part le monde? Ainsi il y a cette croyance largement répandue qu'au plus on respire au plus on amène de l'oxygène. CE QUI EST FAUX !

La preuve, prenez un oxymètre, petit appareil qui mesure la quantité d'oxygène dans le sang. Si vous êtes dans une santé normale, l'appareil indiquera une mesure entre 95 et 99% d'oxygène dans le sang, autrement dit quasiment saturé. Maintenant hyperventilez pendant 5 minutes et refaites la mesure, vous verrez que le taux d'oxygène sera toujours compris entre 95 et 99%. Autrement dit l'hyperventilation n'a aucun effet sur l'oxygénation du sang, car le sang est normalement toujours saturé en oxygène. Alors qu'est-ce qui fait que les cellules de notre corps sont plus oxygénées ? L'oxygène est transporté dans le sang par l'hémoglobine. Ainsi plus l'hémoglobine relâche les molécules d'oxygène, plus les cellules sont oxygénées. La question devient donc sous quelles conditions l'hémoglobine relâche-t-elle plus d'oxygène ?

La réponse nous est donnée par le principe physiologique connu sous le nom "effet Bohr" qui fut identifié dès 1904 par le physiologiste danois Christian Bohr, père du physicien Niels Bohr.


Le secret : plus de CO2 pour plus d'oxygène

En terme technique, l'effet Bohr est décrit ainsi (source Wikipedia) :


"L'effet Bohr est la diminution de l'affinité de l'hémoglobine pour l'oxygène (O2) lors d'une augmentation de la pression partielle en dioxyde de carbone (CO2) ou d'une diminution de pH"


Traduction :

  • Concernant le premier point, les cellules sont plus oxygénées si la quantité de CO2 augmente au niveau de la cellule. Cela se produit lorsque les cellules sont en activité, comme lors de l'activité physique, car l'énergie produite par la combustion du glucose libère du CO2 à proximité et de ce fait ces cellules reçoivent plus d'oxygène. C'est pour cette raison que l'activité physique à intensité modérée (aérobie) amène ce sentiment de relaxation et de bien-être après l'effort.

  • L'autre condition pour la libération de l'oxygène est la diminution du ph sanguin. Et à quel moment cela se produit-il ? Le ph du sang diminue lorsqu'il y non pas moins mais PLUS de CO2 de le sang, car le CO2 acidifie les liquides dans lesquels il se dissout (le même phénomène se produit d'ailleurs pour les océans). Autrement dit :

Au plus il y a de CO2 dans le sang, au plus les cellules sont oxygénées!


On comprend donc pourquoi l'hyperventilation est contreproductive. Car son effet ne permet pas d'amener plus d'oxygène dans le sang, mais fait par contre baisser le taux de CO2, du fait de plus expirer. Le taux de CO2 diminuant, le sang va donc devenir plus basique c'est-à-dire une augmentation de PH. Cette augmentation du PH va être considérée comme le signal d'un état de stress pour l'organisme (car le sang doit toujours avoir un PH neutre autour de 7). Cet état de stress va donc mettre à contribution les glandes surrénales qui vont produire différentes substances chimiques du stress comme le cortisol ou l'adrénaline. C'est notamment l'adrénaline qui va donner ce sentiment euphorisant de toute puissance après une hyperventilation. L'adrénaline c'est un peu comme une dose de potion magique d'Astérix. Cet état de stress va aussi provoquer la réduction des artères pour augmenter la pression artérielle, d'où les sensations d'étourdissements lorsqu'on hyperventile.


Le coût de l'hyperventilation chronique : l'épuisement des ressources

Mais cette hyperventilation, même si elle semble avoir un effet bénéfique sur le moment, a un coût car elle puise dans les ressources de l'organisme. La production d'adrénaline et des autres hormones du stress demande beaucoup aux glandes surrénales.

Ainsi l'hyperventilation est donc associée à un état de stress avec tous les mécanismes que cela implique. Or dans la nature, le stress est une réaction ponctuelle de l'organisme pour des situations de survie. Mais dans nos sociétés, le stress est devenu chronique et non plus exceptionnel, et par conséquent l'hyperventilation est elle aussi devenue chronique. En résumé on respire trop souvent trop et trop vite, et cela a pour conséquence d'épuiser nos ressources et les glandes surrénales et de nous précipiter tout droit vers le burn out ou la maladie.


Dit autrement l'hyperventilation chronique amène à puiser en permanence dans nos ressources jusqu'à l'épuisement de celles-ci.


Il est intéressant aussi de constater que l'hyperventilation amenant une basification du sang, un des mécanismes compensatoires pour rééquilibrer le PH va être d'être attirés par toutes sortes d'aliments acidifiants (les sucres, les graisses, viandes, etc...), et voilà entre autres pourquoi les états de stress nous rendent accros au sucre et à l'alimentation industrielle.


Ainsi si nous sommes déjà en état de stress chronique et que nous pratiquons des activités censées nous faire du bien mais qui favorisent l'hyperventilation, nous rajoutons du stress au stress existant et nous précipitons sans le savoir notre épuisement à moyen terme.


Vous comprenez maintenant pourquoi le rythme proposé par Stiegler 3-1-3-1 n'est pas adapté dans la majorité des cas !


Les clés d'une bonne respiration : faire plus avec moins

Alors quelles sont les clés d'une bonne respiration, c'est-à-dire d'une respiration favorisant l'oxygénation ?

  • Comme nous l'avons vu, c'est une respiration favorisant l'accumulation de CO2 dans le sang. Et pour cela il faut non pas apprendre respirer plus mais moins. La respiration est un réflexe naturel régit par les cellules du cerveau au niveau du tronc cérébral. Le cerveau déclenche la besoin de respirer lorsqu'un certain niveau de CO2 est atteint. L'entraînement va donc consister à rééduquer progressivement le cerveau pour reculer le seuil de déclenchement de l'inspiration, c'est-à-dire apprendre à vivre avec des taux de CO2 plus élevés dans l'organisme. Et pour cela 2 méthodes existent : l'entraînement sportif (d'où la différence entre un sportif entraîné et un sédentaire) et des techniques respiratoires favorisant l'expiration et la pause en rétention poumons vides ou réduisant volontairement le volume d'air absorbé (mais sans jamais bloquer l'expiration). En bref on s'entraîne à respirer moins. Réduisant la respiration, le taux de CO2 augmente. L'entraînement nous fait progressivement être capable de rester confortable tout en respirant de moins en moins, et donc d'accumuler des taux de CO2 de plus en plus importants et donc d'être de plus en plus oxygéné.

  • Un autre point pour bien respirer consiste aussi à prendre l'habitude de respirer exclusivement par le nez. Respirer par le nez est essentiel non seulement car l'air est filtré par les narines mais aussi car l'air absorbé se mélange à l'oxyde nitrique produit dans les fosses nasales. Cet oxyde nitrique améliore le transfert d'oxygène dans les poumons par vasodilatation et dilate vaisseaux et artères, et donc permet une meilleure oxygénation. La respiration par la bouche est typique de l'état de stress, donc on évitera par exemple de respirer par la bouche pendant un footing, quitte à réduire le rythme de la foulée s'il le faut.

Comment bien respirer dans la marche afghane ?

Tout ceci étant dit, les rythmes de marche à adopter pendant la marche afghane seront donc des rythmes favorisant l'expiration (temps d'expiration plus long que l'inspiration) et si cela est possible selon la vitesse de marche et la configuration du terrain, des pauses respiratoires poumons vides. Ainsi pourrions-nous essayer des rythmes sur terrain plat du type 4-6-2 (4 pas inspiration, 6 sur l'expiration, 2 en rétention vide) ou 4-6-4, et progressivement augmenter le temps de rétention à vide. Le rythme doit être trouvé empiriquement et dépendra aussi de la durée de l'exercice. Ainsi un rythme amenant un léger manque d'air ne devra pas être maintenu pendant des durées trop longues (15 minutes max), alors qu'un rythme plus confortable pourra être maintenu plus longtemps. Comme dans tout entraînement, il s'agit toujours de respecter la règle d'or de la progression : sortir de la zone de confort pour progresser sans dépasser la capacité d'adaptation au risque d'amener un stress d'hypoventilation.


Si vous souhaitez en savoir plus sur la technique de la marche afghane et suivre une formation, vous pouvez consulter ce lien :


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