L’essence de votre esprit n’est pas née, donc elle ne mourra jamais. Elle n’a pas d’existence qui soit périssable. Elle n’est pas une vacuité qui soit un simple vide. Elle n’a ni couleur, ni forme. Elle ne se réjouit pas des plaisirs et n’endure pas les souffrances. Je sais que vous êtes très malade. Peut-être ne savez-vous pas exactement « qui » est en train de souffrir mais posez-vous la question : « Quelle est l’essence de l’esprit ? » Ne pensez qu’à ça. Vous n’avez besoin de rien d’autre. Ne convoitez rien. Votre fin sans fin est pareille à un flocon de neige qui se dissout dans l’air pur.
Maître Zenji Bassui (1327-1387), ‘lettre à un disciple en train de mourir’
Un concept polysémique
Lorsque nous parlons de l’esprit, nous sommes face à un concept polysémique. On trouve comme définition de l’esprit plusieurs sens. Tout d’abord celui de pensée, la partie incorporelle de l’être humain, celle qui est en opposition avec le corps et la matière. Ensuite, on utilise très souvent ce mot pour définir un principe de la vie psychique, à savoir les capacités intellectuelles, l’intelligence pénétrante. On trouve également l’idée que l’esprit serait le siège de la pensée, par exemple lorsque l’on dit « une idée me vient à l’esprit ».
D’autres utilisations comme celle d’un être immatériel censé être l’esprit du lieu, un fantôme, ou bien la qualité d’une personne qui a l’esprit d’entreprise, ou encore l’esprit d’un texte dont il faudrait tenir compte pour porter une analyse, une manière de parler avec humour… Tous ces sens portés par le même mot conduisent à une complexité dont il faut chercher à s’extraire pour cheminer dans la voie spirituelle.
Comment définir l’esprit ?
Pour l’enseignement bouddhiste notre corps est comparé à une auberge et notre esprit à un hôte qui y séjourne. Lorsque nous mourons, notre esprit quitte notre corps et s’en va vers la vie suivante, tout comme un hôte quitte une auberge pour aller ailleurs.
Quand le matérialisme considère que l’esprit est le cerveau, le bouddhisme considère que l’esprit n’est pas un objet physique. On ne peut pas le voir avec les yeux, ni le photographier, ni le toucher. Le cerveau n’est pas l’esprit, mais simplement l’organe matériel qui permet à l’esprit de s’incarner, afin de pouvoir entrer en relation avec toute la manifestation.
Alors comment définir l’esprit ? Il est ce qui produit des pensées, parfois très actif, parfois calme, parfois heureux, parfois malheureux, parfois doux, parfois violent. L’esprit c’est tout cela et pourtant ce n’est pas cela.
Quand on le voit rien n’est vu
Quand nous cherchons à percevoir l’esprit rien n’est trouvé. L’esprit est au-delà de toute pensée, de toute expression, de toute représentation. Inconcevable, indicible, inexprimable, quand on le voit, rien n’est vu. Il n’a ni forme ni couleur, ni odeur, ni caractéristique. Quand nous le regardons ou l’analysons, on ne voit rien. Quelque chose est toujours là que nous ne pouvons ni saisir, ni attraper, ni rejeter. On ne peut dire qu’il existe car personne ne le voit. Mais il est la base de toute manifestation de quelque nature que ce soit.
Au-delà de toutes les représentations
Il se situe en fait au-delà de toutes les représentations mentales d’existence ou de non-existence, des deux à la fois ou de ni l’une ni l’autre. Il ne peut être évoqué par aucune image, il ne peut être inclus dans aucune définition et cependant il n’en contredit aucune. Il échappe à toute tentative d’investigation conceptuelle, rien ne peut le définir et pourtant quelque chose est là qui échappe à toute possibilité de saisie. Puisqu’il ne peut être compris par aucune approche conceptuelle, comment pouvons-nous le connaître ?
Une expérience indescriptible
Dans la vision traditionnelle l’esprit est le corps de la réalité ultime. Il est indestructible, non conditionné, éternel, immuable, originellement pur, parfait pour toujours puisqu’il est intemporel. Sur cette base il serait possible de le définir de manière apophatique. C’est-à-dire de décrire ce qu’il n’est pas. Mais il faut remarquer que toute définition de l’esprit est une manière de tourner autour d’une expérience indescriptible.
L’absorption méditative
Le seul moyen de réaliser la nature de l’esprit est l’absorption méditative, le Samâdhi, qui conduit à la vision directe, non discursive, non conceptuelle de l’essence de toute chose. C’est seulement cette approche directe, sans l’intermédiation des concepts, qui permet de co-naître à l’esprit, ce que l’écrivain chrétien Paul Claudel dira à sa manière : Il y a donc une lumière en nous douée d'une force d'émission pour co-naître au Père.
Seule cette perception directe permet de trancher tous les doutes quant à l’existence ou l’absence d’existence de l’esprit. C’est la raison pour laquelle dans le bouddhisme la méditation est le cœur de l’apprentissage spirituel. La recherche de l’esprit est le fil conducteur de la méditation jusqu’à la réalisation véritable.
La sagesse ultime
C’est le terme de la voie, le parachèvement du voyage, la sagesse ultime. Cette sagesse, inhérente à l’esprit, a le pouvoir de se reconnaître elle-même, dans une parfaite non-dualité, sans l’entremise de la saisie intellectuelle, mais directement. Surmonter tout l’artifice de l’intelligence qui sépare, et, par là, tout choix nécessairement arbitraire de l’homme, c’est retrouver le bonheur primitif de l’humanité plongée dans l’harmonie universelle.
Comments